Controverse à propos de la béatification de Pie XII
Le pape Pie XII (1939-1958)
Le 19 décembre, Benoît XVI a autorisé la Congrégation pour les causes des saints à promulguer le décret reconnaissant les « vertus héroïques » de deux de ses prédécesseurs, Pie XII (1939-1958) et Jean-Paul II (1978-2005).
Il a également reconnu le « martyre » du prêtre polonais Jerzy Popieluszko (1947-1984), l´aumônier du syndicat Solidarnosc, enlevé par trois officiers de la police politique communiste (SB) près de Wloclawek, au nord de Varsovie. Ses ravisseurs l´avaient torturé à mort, avant de le ligoter et de le jeter dans les eaux de la Vistule. La publication du décret reconnaissant les vertus héroïques de Pie XII a surpris plus d’un observateur.
Rome avait ouvert la cause de béatification de Pie XII en octobre 1967. Le 8 mai 2007, les membres de la Congrégation pour les causes des saints avaient reconnu à la majorité « les vertus héroïques » d´Eugenio Pacelli. Le dossier devait ensuite être remis à Benoît XVI pour la signature du décret le déclarant « vénérable ». Mais, quelques mois plus tard, en décembre 2007, le pape avait décidé de créer une commission spéciale au sein de la secrétairerie d’Etat pour étudier le dossier du procès. En juin dernier, le postulateur de la cause du pape de la Seconde Guerre mondiale avait confié à la presse que le pape allemand ne souhaitait pas signer le décret de béatification de son prédécesseur de crainte que les rapports entre juifs et catholiques ne soient « compromis ».
Le directeur du Bureau de presse du Saint-Siège avait immédiatement demandé que Benoît XVI soit « laissé complètement libre dans ses évaluations et dans ses décisions ». Plusieurs responsables juifs ont aussitôt réagi à la proclamation des vertus héroïques du pape Pie XII. Le grand rabbin de France, Gilles Bernheim, a déclaré le 20 décembre espérer que l’Eglise catholique renonce au projet de béatifier Pie XII. La décision de Benoît XVI s´inscrit, selon lui, « aux antipodes du dialogue judéo-chrétien ». « Depuis plus de 40 ans, le projet de béatifier Pie XII, qui a été introduit par Jean XXIII et Paul VI, n´a cessé de susciter controverses et déceptions sur ce qu´il représente symboliquement.
Aujourd´hui, la réalisation ou non de ce projet est devenue le symbole de ce que Benoît XVI fera de sa papauté », a-t-il ajouté. La réaction a été plus vive encore chez le secrétaire général du Conseil central des juifs d´Allemagne. Stephan Kramer s´est dit « furieux » et « triste » que le pape ait proclamé vénérable son prédécesseur Pie XII, critiqué pour son silence pendant la Shoah : « C´est un détournement clair des faits historiques concernant l´époque nazie. Et Benoît XVI réécrit l’Histoire sans avoir permis qu´il y ait une discussion scientifique sérieuse sur l´attitude de Pie XII face au nazisme. C´est ce qui me rend furieux », a-t-il déclaré à l´AFP.
Le rabbin David Rosen, conseiller du grand rabbin de Jérusalem sur les questions de dialogue et délégué au dialogue avec le Vatican, s´est dit réservé dans le journal le Corriere della Sera du 20 décembre. La décision de Benoît XVI « ne démontre pas une grande sensibilité à l´égard des préoccupations de la communauté juive », a-t-il affirmé, espérant que la procédure envers le pape Pacelli ne sera pas accélérée.
Pour sa part, la communauté juive d´Italie « reste critique » sur la décision du pape Benoît XVI. « Nous ne pouvons en aucune manière nous mêler des décisions internes de l’Eglise », ont déclaré conjointement Riccardo Di Segni, grand rabbin de Rome, Renzo Gattegna, président de l’Union des communautés juives italiennes, et Riccardo Pacifici, président de la communauté juive de Rome. « Si cette décision devait en revanche impliquer un jugement définitif et unilatéral sur l´œuvre historique de Pie XII, nous répétons que notre évaluation reste critique », ont-ils affirmé. Mgr Angelo Amato, préfet de la Congrégation pour les causes des saints, a accordé un entretien, le 20 décembre, au quotidien de la Conférence épiscopale italienne Avvenire.
A la question de savoir si l´annonce simultanée des « vertus héroïques » des deux pontifes indiquait que leurs causes avanceraient désormais parallèlement, Mgr Amato a répondu que « chacune suivra son cours ». Le prélat romain a expliqué que la reconnaissance des « vertus héroïques » de Pie XII ne pouvait « pas être considérée comme une surprise » pour son dicastère. En décembre 2007, le pape avait décidé de créer une commission spéciale au sein de la secrétairerie d’Etat pour étudier le dossier du procès en consultant les archives du Saint-Siège. Cette « enquête », a-t-il révélé, s´est conclue « positivement ».
Quatre jours après l’autorisation donnée par Benoît XVI à la Congrégation pour la cause des saints de reconnaître les vertus héroïques de Pie XII, le P. Federico Lombardi, directeur du Bureau de presse du Saint-Siège, a cru devoir fournir, dans une note diffusée à la presse le 23 décembre, quelques « explications » sur ce processus qui n´entend pas, selon lui, être une « évaluation de la portée historique de toutes (les) décisions » d’Eugenio Pacelli mais se réfère à son « témoignage de vie chrétienne » : « La signature par le pape du décret sur les ‘vertus héroïques’ de Pie XII a suscité un certain nombre de réactions dans le monde juif, probablement parce qu’il s´agit d´une signature dont le sens est clair pour l’Eglise catholique et les experts en la matière, mais qui peut mériter quelques explications pour un public plus large, en particulier les juifs, très sensibles, de façon compréhensible, à cette période historique de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste. « Lorsqu´un pape signe un décret sur les ´vertus héroïques´ d´un Serviteur de Dieu (...) il confirme l´évaluation positive que la Congrégation pour les causes des saints a déjà votée. (...) Naturellement, dans cette évaluation, les circonstances dans lesquelles la personne a vécu sont prises en compte.
Un examen d´un point de vue historique est ensuite nécessaire, mais l´évaluation se réfère essentiellement au témoignage de vie chrétienne donné par cette personne (sa relation intense avec Dieu et sa recherche perpétuelle de la perfection évangélique...) et non à l´évaluation de la portée historique de toutes ses décisions. (…) « Ceci n´entend donc aucunement limiter la discussion autour des choix concrets faits par Pie XII dans la situation dans laquelle il se trouvait.
En ce qui la concerne, l´Eglise affirme qu´ils ont été réalisés dans le seul but d´accomplir au mieux le service de très haute et importante responsabilité du pape. Dans tous les cas, l´attention et la préoccupation de Pie XII pour le sort des juifs - qui ont certainement été prises en compte pour l´évaluation de ses vertus - ont été largement témoignées et reconnues même par de nombreux juifs. « La recherche et l´évaluation des historiens dans leur domaine spécifique reste donc ouverte. Et, dans le cas présent, on comprend la demande d´ouverture de toutes les possibilités de recherches sur les documents. (...) Pour l´ouverture complète des archives, comme cela a déjà été dit plusieurs fois, il faut d´abord procéder à la mise en ordre et au classement d´une masse énorme de documents qui demande techniquement un délai de quelques années encore », a rappelé le P. Lombardi.
Pour aller plus loin : Pierre Blet, s. j. , Pie XII et la Seconde Guerre mondiale d’après les archives du Vatican, Perrin,1997.
(DICI n°208 du 23/01/10 - Sources : Apic/IMedia)