Le souffle suspendu des chrétiens de Syrie à la veille de Noël
Le P. Firas Lutfi, du couvent franciscain de Damas
Dans une Syrie qui vient de tourner la page de l’ère Assad, les fêtes de Noël 2024 seront observées de près alors que la nébuleuse islamiste qui vient de prendre le pouvoir à Damas laisse les chrétiens dans l’expectative quant à leur avenir dans la région.
Eprouvant Temps d’Avent 2024 qui voit les chrétiens de Syrie retenir leur souffle : « Nous sommes suspendus entre l’attente et la crainte », explique le P. Firas Lutfi dans un entretien accordé à La Stampa. Le religieux qui est à la tête du couvent franciscain de Damas (Syrie) résume ainsi le sentiment de sidération partagée par une grande partie des chrétiens :
« Le gouvernement aux mains du parti Baas qui a tenu les rênes du pays pendant 53 ans en exerçant un contrôle étouffant sur la population semble s’être évaporé en un instant, laissant le pays aux mains des milices djihadistes : pourquoi un effondrement aussi soudain, et que va-t-il arriver ? »
Pour le P. Lutfi, il est plus que difficile de se projeter dans l’avenir : « Nous nous demandons si les rebelles sont capables de conduire la Syrie vers un avenir meilleur. Pour l’instant, les gens profitent au moins de la fin du régime d’Assad, qui pendant des décennies a exploité les ressources du pays et appauvri la population. Il faut éviter qu’une idéologie extrémiste et radicale islamique ne prenne la place du régime exclusif des Assad. »
Pour l’heure, la faction islamiste dominante parmi les rebelles d’hier devenus les maîtres de la Syrie de demain entend jouer la carte de la respectabilité internationale en rassurant les chrétiens, invitant le P. Lutfi et les évêques à une table-ronde à Alep : « J’ai été invité à participer, mais les rebelles ne se sont pas présentés en personne.
« Ils ont envoyé un message expliquant qu’ils avaient besoin de temps pour s’organiser. Ils ont promis de rencontrer rapidement les autorités religieuses afin de rassurer les personnes inquiètes et de présenter leur programme pour sauver la Syrie du gouffre dans lequel elle est tombée », précise le franciscain de Damas.
Inquiet, il y a en effet des raisons de l’être lorsqu’on jette un rapide coup d’œil sur les forces armées qui viennent de prendre le contrôle de la Syrie. En commençant par la principale force sur le terrain, constituée par les islamo-nationalistes de l’organisation Hayat Tahrir Al-Cham (HTC, Organisation de libération du Levant).
Bien qu’il cherche à débarrasser le groupe HTC qu’il dirige, de l’étiquette d’islamisme radical qui lui vaut d’être mis sur la liste noire du terrorisme par les Etats-Unis, Ahmed Al-Charaa – plus connu sous son nom de guerre, Abou Mohammed Al-Joulani – est un pur produit du djihadisme international.
Le nouvel homme fort de la Syrie pilote une nébuleuse islamiste hétéroclite qu’il souhaite mettre au pas : notamment l’inquiétant groupe Firqat al-Ghuraba – la « Brigade des étrangers », constituée actuellement d’une centaine de personnes essentiellement francophones – dont des adolescents - et dirigé par Omar Omsen, vieille figure du djihad français originaire de Nice. Une brigade sanguinaire qui entre assez fréquemment en conflit avec HTC.
A côté des islamistes, on trouve au second plan l’Armée nationale syrienne, qui consiste surtout en une réunion de groupes militaires – dont des mercenaires – pilotés par la Turquie de Erdogan et dont la vocation est d’aider l’homme fort de la région à contenir les ambitions kurdes aux frontières.
Enfin, autre pièce importante sur l’échiquier syrien qui a contribué à faire tomber le régime de Bachar al-Assad, les Forces démocratiques syriennes (FDS) pro-kurdes, dans lesquelles on trouve des milices armées chrétiennes.
Dans ce maelström insurrectionnel qui apparaît sur les décombres de l’ère Assad, les chrétiens de Syrie espèrent compter sur l’engagement de la communauté internationale : « il est essentiel que la communauté internationale continue de s’engager avec détermination, en supervisant le nouveau projet politique pour assurer un avenir où chacun aura sa place. La Syrie doit redevenir un pays accueillant où règne la loi et non l’appartenance ethnique ou religieuse », conclut le P. Lutfi. Mais dans ce domaine, rien n’est encore acquis…
(Sources : La Stampa/Le Monde – FSSPX.Actualités)
Illustration : Custodia Terræ Sanctæ