Les négociations avec la Chine ont repris, les persécutions s’accentuent
Wang Zuo’an, directeur des Affaires religieuses
Le pape François a confirmé sa volonté de poursuivre le dialogue avec le Parti communiste chinois, au sujet de la nomination des évêques chinois. Les discussions ont repris entre la Chine et le Vatican malgré les voix qui s’y opposent et les troubles qui secouent l’Eglise chinoise depuis ces derniers mois, particulièrement avec la reconduction de Xi Jinping à la tête du Parti communiste chinois en octobre 2017, puis à la présidence du pays en mars 2018. (voir DICI n°364 du 10/11/17)
A la veille de son voyage œcuménique à Genève (Suisse), le souverain pontife a accordé un entretien à Philip Pullella de l’agence Reuters le 17 juin, publié le 20, où il confiait que la normalisation des relations avec la Chine était en « bonne voie ». Si le calendrier d’un accord « dépend du temps chinois » – qui, pour le pape, suit « le temps de Dieu » (le Parti communiste chinois y sera sensible) –, le successeur de Pierre a néanmoins évoqué la méthodologie des pourparlers en cours. A côté du dialogue officiel, il y a la place pour des contacts non officiels avec des citoyens ordinaires « que nous ne voulons pas divulguer », ainsi que le dialogue culturel. Et, sans hésiter, il a déclaré que « les Chinois méritent le prix Nobel de la patience, parce qu’ils sont bons, ils savent attendre, ils ont le temps et des siècles de culture… C’est un peuple sage, très sage. Et, je respecte beaucoup la Chine ».
Les nouvelles directives du Parti communiste chinois
Dans le même temps, la « sinisation » (zhongguohua) de l’Eglise catholique en Chine, c’est-à-dire sa mise en conformité avec la politique du Parti communiste, suit une réglementation de plus en plus impérieuse. Outre le cas de Mgr Cui Tai, évêque coadjuteur de Xuanshua, dans la province du Hebei, dont on est sans nouvelle depuis son enlèvement à la mi-avril, les provinces du Henan et du Hebei connaissent de nouvelles persécutions contre l’Eglise. Les règles promulguées le 1er février dernier, note Eglises d’Asie (EDA), agence d’information des Missions Etrangères de Paris (MEP), touchent particulièrement la province centrale du Henan qui compte plus de catholiques que toute autre province chinoise. Interdiction est faite aux mineurs de se rendre à l’église, d’aller au catéchisme et aux cours du dimanche, de sorte que les parents ne vont plus avec leurs enfants à la messe. Les croix sont retirées des édifices non officiels ou déclarés tels, des lieux de culte sont fermés, des églises sont détruites.
Le 10 juillet, EDA rapporte que désormais chaque paroisse doit déclarer aux autorités municipales le nombre et la situation des fidèles. Un prêtre du Henan confiait « suspecter un objectif inavoué d’interdire aux personnes à bas revenus l’accès aux subventions publiques », et refusait d’y coopérer. Alors que le gouvernement affirme que l’ordre est destiné à améliorer la façon dont les églises et autres sites sont gérés, le prêtre estime qu’il s’agit plutôt d’un prétexte pour limiter et réprimer l’activité religieuse dans la province. Ainsi il est demandé par un “Avis spécial d’urgence” d’enregistrer et de déclarer le nombre et la situation des fidèles de toutes les religions, de signaler tout mineur entrant dans les édifices religieux, ainsi que toute installation de néons ou d’enceintes dans des lieux de culte ; d’afficher la liste des membres du clergé dans les paroisses pour que les autorités puissent confirmer s’ils ont les permis nécessaires pour prêcher ; le drapeau chinois doit être présent en permanence dans tous les lieux de culte, et l’hymne national doit être chanté lors de chaque célébration. Les membres du bureau du « projet spécial » feront des visites à l’improviste dans les églises de la province, afin de s’assurer du respect des nouvelles règles, et des enquêtes seront menées afin de vérifier que tous les districts coopèrent, avertit l’Avis d’urgence.
En effet, la Conférence épiscopale de l’Eglise catholique [officielle] en Chine et l’Association patriotique catholique chinoise ont adopté le plan quinquennal (2018-2022) de la “sinisation” de l’Eglise catholique, lors d’une réunion commune le 17 mai dernier. Puis un document de 15 pages, qui est la mise en œuvre du plan, a été envoyé en juin à tous les diocèses catholiques de Chine. L’agence Ucanews (Union des nouvelles catholiques d’Asie) a publié le 31 juillet le document qu’elle a pu se procurer et traduire. Les diocèses catholiques en Chine sont ainsi tenus de montrer comment ils réduiront les influences étrangères et adopteront une identité idéologique et théologique plus chinoise, en établissant leurs propres plans quinquennaux qu’ils doivent renvoyer à la Conférence épiscopale et à l’Association patriotique, avant la fin du mois d’août. Il est demandé que l’architecture de l’église, la peinture et la musique sacrée soient plus en harmonie avec la culture et les traditions chinoises, que la promotion de la “sinisation” se fasse par le biais de séminaires – déjà organisés dans plusieurs diocèses, précise Ucanews.
Ce plan de “sinisation” concerne les cinq religions officiellement reconnues en Chine populaire : bouddhisme, taoïsme, islam, protestantisme et catholicisme. La “sinisation” de l’Eglise catholique avait été annoncée dès 2015 par le président Xi Jinping en vue d’établir « l’indépendance, l’autonomie et l’autogestion » de l’Eglise chinoise, c’est-à-dire d’exercer un contrôle total sous la tutelle de la Conférence épiscopale de l’Eglise catholique [officielle] en Chine et l’Association patriotique catholique chinoise.
Le nombre de catholiques en Chine est estimé entre 9 et 12 millions, la part de l’Eglise “officielle” étant comprise entre 50 et 70% des catholiques, note EDA. Selon les chiffres du Pew Research Center, la Chine comptait en 2010, 67 millions de chrétiens déclarés dont 9 millions de catholiques et près de 58 millions de protestants, avec une progression d’environ 10% par an (Rapport sur les chrétiens dans le monde, publié en 2011). Un chiffre total qui – en tenant compte des chrétiens non déclarés et de la progression annuelle – dépasserait le nombre des membres du Parti communiste qui était fin 2016 de 89,5 millions, selon le China Daily du 30 juin 2017. S’inquiétant de la progression des conversions jusque parmi les membres du Parti, un sévère rappel avait été fait en 2015 à leur intention, soulignant l’incompatibilité de l’adhésion à toute religion avec l’athéisme communiste. Les membres du Parti sont désormais interdits de toute pratique religieuse. Il est vrai qu’en 2014, le chercheur américain Fenggang Yang de l’Université de Purdue déclarait que la Chine serait le premier pays chrétien du monde en 2030…
Le pape François et le cardinal Parolin
La politique du cardinal Parolin et du pape François
Interrogé par Philip Pullella sur les observations critiques du cardinal Joseph Zen Ze-kiun, évêque émérite de Hong Kong, le pape les a simplement écartées au regard de son âge : « Je pense qu’il est un peu effrayé. Sans doute son âge joue-t-il un rôle. C’est un homme bon. Il est venu me parler, je l’ai reçu [le 12 janvier 2018] mais il est un peu effrayé ». Et de déclarer sans ambages : « Le dialogue est un risque mais je préfère ce risque à la certitude de la défaite si on ne dialogue pas ». – La répression et les persécutions n’ont donc pas droit de cité au Vatican.
Soucieux d’un tel accord avec le Parti communiste chinois, Steven W. Mosher, sociologue américain et spécialiste de la démographie chinoise, publiait le 31 mai, sur le site catholique One Peter Five, les réponses reçues de hauts prélats du Vatican rencontrés à Rome, non nommés dans l’article. Au cours de ses différents entretiens, il s’est attaché à souligner que la tolérance d’il y a dix ou quinze ans a été remplacée par une réelle hostilité à l’Eglise. « Xi Jinping est le nouvel empereur rouge. Il a déjà plus de puissance que Mao Zedong : il n’est pas seulement le chef du Parti communiste, comme Mao l’était, mais est également le chef du gouvernement et de l’armée, que Mao n’était pas. Son culte de la personnalité est de plus en plus affirmé. Comme Mao, il veut que le peuple chinois l’adore, et non pas le Dieu de la Bible. C’est pourquoi Xi Jinping a resserré les contrôles sur les activités religieuses de toutes sortes. » Et d’expliquer que les nouvelles réglementations du 1er février sont destinées à éradiquer toutes les croyances et les pratiques religieuses en Chine, en commençant par le catholicisme. Malgré ces faits, un archevêque a répondu à Stephen W. Mosher, après avoir précisé qu’un projet d’accord concernant la nomination conjointe des évêques avait été finalisé : « nous attendons que les Chinois avancent ». Et face au danger du « nouvel empereur rouge » qui s’impose de jour en jour, le sociologue américain s’entendit rétorquer : « alors nous signerons un accord avec Xi Jinping lui-même ».
L’économiste Mathias von Gersdorff expliquait dans un article publié le 11 avril sur le même site, que le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat, avait retrouvé l’Ostpolitik de gauche des années 1960-70 qui consistait à s’entendre avec les dictatures communistes. L’Eglise catholique devait abandonner la critique du communisme ; en récompense, elle recevrait des libertés dans l’administration des sacrements. Dans le cas de la Chine, le cardinal Parolin semble s’être dit, ajoute l’auteur : les catholiques chinois qui souffrent déjà depuis si longtemps, sous la persécution, doivent d’abord accepter les évêques qui ont été nommés par l’Etat communiste, puis ils pourront exercer leur religion en paix. Avec la condition préalable de se débarrasser des évêques de l’Eglise dite ‘souterraine’, précise-t-il.
L’opposition à l’Ostpolitik du Vatican en Chine
Le 7 avril 2018, à Bonn, ancienne capitale de la République fédérale d’Allemagne, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, archevêque émérite de Hong-Kong, a reçu le Prix Stephanus pour les chrétiens persécutés (Stephanus-Preis für verfolgte Christen). A cette occasion, écrit Mathias von Gersdorff, il a parlé en détail de la persécution des chrétiens en République populaire de Chine et des tentatives du Vatican de « s’entendre » avec les dirigeants communistes chinois. « Le Secrétariat d’Etat du Vatican veut livrer l’Eglise souterraine légitime de Chine aux communistes, même si elle a été persécutée par eux pendant des décennies », a-t-il dit. « Un tel accord avec les communistes serait une trahison et une honte ; un abandon de la liberté de l’Eglise aux dirigeants communistes. Ce que fait essentiellement Parolin, c’est de remettre les loyaux catholiques aux dirigeants communistes. Ainsi donc, c’est une reddition à une puissance du monde ».
Le cardinal Zen s’exprimait à nouveau lors d’un entretien au Hong Kong Free Press, publié le 13 mai sur son site internet. « Certains affirment qu’aujourd’hui il y a des difficultés du côté chinois à cause de ceux qui pensent qu’ils n’ont pas besoin de l’accord, puisqu’ils peuvent tout contrôler. Peut-être y a-t-il des voix en Chine contre cet accord éventuel ? », a confié le cardinal chinois. « Vous pouvez constater qu’il y a beaucoup d’actions du côté du gouvernement chinois qui montrent qu’il resserre son contrôle sur les religions. Il est donc d’autant plus difficile de comprendre comment le Vatican peut arriver à trouver un accord en ce moment, parce qu’il est évident qu’il est considéré comme collaborant avec le gouvernement [communiste] ». Et de s’exclamer : « comment peut-on dire qu’une mauvaise affaire est toujours mieux que pas d’accord, je ne pense pas que cela soit honnête ».
Le cardinal émérite de Hong-Kong ajoute qu’il peut y avoir des conséquences graves après la signature d’un mauvais accord avec la Chine, qui peuvent décevoir aussi bien les catholiques de l’Eglise “souterraine” que ceux de l’Eglise d’Etat. « J’ai très peur que certains puissent avoir une réaction irrationnelle, comme une sorte de rébellion contre le pape, ce serait très malheureux ; je suis contre toute sorte de rébellion. Je pense que la fidélité au pape est notre ligne de fond ; même si nous ne pouvons pas comprendre ce que fait le pape, nous devons obéir », a-t-il déclaré. (voir DICI n°370, mars 2018)
Pékin se dit prêt à un compromis
Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Geng Shuang, a déclaré fin juin que la Chine était sincère dans sa volonté d’améliorer ses relations bilatérales avec le Vatican. « Nous sommes prêts à rencontrer le Vatican afin de trouver des compromis et réaliser de nouveaux progrès ensemble, pour de meilleures relations et pour permettre l’avancée d’un dialogue bilatéral constructif ». – C’est ce qu’on appelle la langue de bambou.
Un mois plus tôt, l’Association Patriotique des catholiques chinois et le Conseil des évêques chinois approuvaient le « Plan quinquennal de développement pour la sinisation de l’Eglise catholique en Chine », – comme il se doit pour une Eglise assujettie au Parti communiste chinois. – En sera-t-il donc ainsi pour l’Eglise catholique clandestine ?
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(Sources : cath.ch/vaticannews/eda/ucanesw/fsspx.actualités/asianews – DICI n°375, août 2018)