L’uniatisme n’est plus un moyen pour recouvrer l’unité, déclare le pape

Source: FSSPX Actualités

Le pape François et la délégation du Patriarcat de Moscou

Le pape François a reçu au Vatican une délégation du Patriarcat orthodoxe de Moscou, le 30 mai 2018, conduite par le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou. Dès le lendemain, le site officiel du Patriarcat publiait le compte-rendu de l’entrevue. Or, souligne le vaticaniste Sandro Magister le 8 juin, l’audience était d’ordre privé et les déclarations du pape n’étaient pas destinées à être publiées. Ce qui amena le Saint-Siège à faire paraître le 2 juin l’intégralité du discours prononcé par François à cette occasion.

S’adressant au métropolite, le souverain pontife déclara avec insistance : « je voudrais répéter devant vous – de façon spéciale devant toi, cher frère, et devant vous tous – que l’Eglise catholique ne permettra jamais que naisse une attitude de division chez les siens. Nous ne nous permettrons jamais de faire cela, je ne le veux pas. A Moscou, en Russie, il y a un seul patriarcat : le vôtre. Nous n’en aurons pas un autre ».

Et s’il demande de « respecter les Eglises qui sont unies à Rome », le pape affirme en matière d’œcuménisme que « l’uniatisme comme chemin d’unité aujourd’hui ne fonctionne pas ». Et pourquoi ? Depuis quand le retour à l'unité de l'Eglise fondée sur Pierre serait-il devenu une impasse ?

La solution du pape François, dans la continuité de ses prédécesseurs pétris de l'oecuménisme de Vatican II, est de « continuer d’étudier la théologie, de clarifier des points, mais entre-temps marcher ensemble, sans attendre que tout se résolve. (…) marcher dans la charité, dans la prière ensemble, les uns pour les autres, dans le dialogue ».

Ainsi, « les gréco-catholiques d’Ukraine, longtemps persécutés sous le régime communiste, seraient-ils sacrifiés sur l’autel de l’œcuménisme ? », s’interroge Jacques Berset de l’agence cath.ch.

Pourquoi le pape déclare-t-il : « A Moscou, en Russie, il y a un seul patriarcat : le vôtre » ? Le Saint-Siège refuse-t-il le titre de patriarche à Mgr Sviatoslav Shevchuk ? Archevêque majeur de Kiev et de Galicie, il est le Primat de l’Eglise grecque-catholique d’Ukraine (UGCC) interdite sur ordre de Staline en 1946, et intégrée de force au sein du patriarcat de Moscou, avant d’être légalisée à nouveau en 1989. Pour ne pas mettre en danger ses relations œcuméniques avec le patriarcat de Moscou ?

Il ne s’agit pas, explique Sandro Magister, d’un patriarcat catholique en Russie où se trouvent à peine 2.000 catholiques de rite oriental administrés par un évêque de rite latin, mais bien en Ukraine, où l’Eglise grecque-catholique – de rite byzantin unie à Rome par l’Union de Brest en 1596, dite uniate –, « compte quatre millions de fidèles et aspire fortement, et depuis longtemps, à être constituée en patriarcat et, dans les faits, se considère et agit déjà comme tel ». 

De même, c’est en Ukraine – poursuit le journaliste italien – que le patriarcat de Moscou compte la plupart de ses fidèles, de nombreuses vocations ainsi qu’une grande partie de ses ressources financières. Aujourd’hui, trois Eglises orthodoxes se côtoient en Ukraine : l’Eglise orthodoxe ukrainienne appartenant au patriarcat de Moscou, un patriarcat dit schismatique de celui de Moscou, et une Eglise orthodoxe ukrainienne autocéphale. Or depuis quelques temps, un mouvement tend à unifier ces trois Eglises en une seule sous l’égide du patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée Ier. Lui-même en a informé le pape le 24 mai dernier. Son projet prévoit que les trois Eglises orthodoxes renoncent à leur juridiction en faveur de la création d’une nouvelle Eglise orthodoxe ukrainienne unifiée qui ne serait pas nécessairement un patriarcat, tout en étant cependant autonome et autocéphale.

Ce projet trouve l’assentiment du président ukrainien Petro Porochenko qui n’hésite pas à prendre des mesures pour la création d’une Eglise orthodoxe ukrainienne unifiée, nationale et indépendante de Moscou, qualifiant ces dispositions de « questions de géopolitique ». 

L’Eglise grecque-catholique ukrainienne soutient également la réunification des trois Eglises orthodoxes. Mais le pape a déclaré le 30 mai : « L’Eglise catholique, les Eglises catholiques, ne doivent pas s’immiscer dans les questions internes de l’Eglise orthodoxe russe, ni dans les sujets politiques. Cela est mon attitude, et l’attitude du Saint-Siège aujourd’hui. Et ceux qui s’immiscent n’obéissent pas au Saint-Siège ».

En réalité, à propos du retour des orthodoxes au sein de l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique, le pape préfère considérer que « l’accord doctrinal sera signé le lendemain de la venue du Christ glorieux » et que, pour l’heure, il faut « marcher ensemble spirituellement ». Tout cela s’inscrit dans la suite logique de la déclaration signée le 12 février 2016 à La Havane par le pape François et le patriarche de Moscou Cyrille, soulignant que « la méthode de l’uniatisme du passé, comprise comme la réunion d’une communauté à une autre, en la détachant de son Eglise, n’est pas un moyen pour recouvrer l’unité ». Le primat de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine, Mgr Sviatoslav Shevchuk, avait qualifié le document de « socio-politique », de « pas clair et ambigu », servant les intérêts de Moscou.

Souhaitant rencontrer le souverain pontife, le prélat ukrainien a été reçu le 3 juillet 2018 à la maison Sainte-Marthe. Au cours de l’entretien, Mgr Shevchuk a tenu à préciser qu’il pose un regard positif sur « les efforts pour surmonter les divisions dans l’orthodoxie ukrainienne, selon l’ancien principe salus animarum lex suprema est (le salut des âmes est la loi suprême) ». Tout en considérant « ces processus comme des questions orthodoxes internes » et sans le souhait de s’ingérer ou d’y participer : « Nous croyons que l’autorité civile doit s’assurer que les conditions permettent la liberté de toutes les Eglises dans notre pays ». L’archevêque de Kiev a souligné, précise le communiqué de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine, que les « Eglises catholiques orientales ne sont pas “une sorte de méthode” [en matière d’uniatisme], mais sont des membres vivants de l’Eglise du Christ, qui non seulement ont le droit d’exister mais sont également appelés à s’engager dans la mission et dans l’évangélisation ».

Le communiqué ajoute que le « Saint-Père a convenu que toute accusation d’uniatisme contre l’UGCC est absolument sans fondement ». Et il a remercié l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine « pour sa participation active à la reconstruction de la société ukrainienne basée sur les principes de la doctrine de l’enseignement social catholique, tout en n’interférant pas dans le processus politique ». – Langage diplomatique pour la forme, à l’écart des questions théologiques de fond ?