Saint Léon le Grand, Sermon sur le carême

12 Mars, 2022
Provenance: fsspx.news

Bien-aimés, dans l’intention où je suis de vous parler du saint jeûne du carême, puis-je mieux commencer ce sermon que par les paroles de l’Apôtre qui était l’interprète de Jésus-Christ, et qu’en répétant ces paroles que nous venons de lire : « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut » (2 Co 6, 2) ? 

Le carême doit nous préparer à la semaine sainte et à la fête de Pâques 

Quoique le Seigneur nous comble de ses grâces en tout temps et que sa divine miséricorde vienne sans cesse à notre secours, il faut cependant que l’âme se livre avec plus de zèle à la pratique de la vertu et qu’elle conçoive de plus grandes espérances dans ces temps où l’accomplissement des mystères de notre rédemption nous invite spécialement à exercer de nombreux actes de piété, afin que nous puissions célébrer avec une grande pureté de cœur et d’esprit le saint et incomparable mystère de la Passion de notre Seigneur. 

Nous devrions toujours adorer ces divins mystères avec la même piété, avec le même amour, et rester toujours devant Dieu aussi purs que nous devons l’être pendant la fête de Pâques. Mais peu de personnes possèdent assez de ferveur pour cela ; la fragilité de la chair nous empêche de persister dans la stricte observance des divins préceptes ; et les embarras et les inquiétudes de cette vie causent de si grandes distractions que les âmes les plus vertueuses elles-mêmes ne peuvent se garder d’être souillées par la poussière du monde ; aussi Dieu dans sa Sagesse nous a donné le carême pour purifier nos âmes, pour racheter par de bonnes œuvres et le jeûne de la piété les fautes que nous avons pu commettre dans le cours de l’année. 

La pratique du carême doit surtout consister en un renoncement intérieur 

Puisque nous sommes sur le point d’entrer dans ces saints jours où les lois divines nous prescrivent de purifier notre âme et notre corps, ayons soin d’obéir à ces préceptes de l’Apôtre : « Purifions-nous de toute souillure de la chair et de l’esprit, en achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu » (2 Co 7, 1). 

Faisons cesser toute espèce de lutte entre notre âme et notre corps ; que l’âme conserve son autorité et que le corps soit soumis à l’âme qui doit le gouverner d’après les lois du Seigneur ; gardons-nous d’offenser personne et de donner à qui que ce soit l’occasion de nous blâmer. Les infidèles auraient raison de nous mépriser, et par notre faute, leurs langues impies se déchaîneraient contre la religion, si nous ne jeûnions point avec toute la perfection d’une sainte continence. 

Ce n’est point seulement dans la privation d’aliments que consiste la sainteté du jeûne ; il est inutile de retrancher au corps sa nourriture ordinaire, si l’esprit n’abandonne pas les voies de l’iniquité, si la langue ne s’abstient de médire ou de calomnier. Nous devons imposer à nos passions le même frein que nous imposons à notre intempérance. 

Dans l’exercice des vertus 

Voici le temps où il nous faut devenir doux et patients, pacifiques et tranquilles, où il faut bannir le vice de notre cœur, et nous efforcer de l’enrichir de vertus éternelles. Voici le temps où les âmes pieuses doivent pardonner les offenses, mépriser les injures et oublier les insultes. Voici le temps où l’âme fidèle, revêtue des armes de la justice, doit combattre à droite et à gauche, de telle sorte que, pure dans sa conscience et constante dans sa probité, soit dans la gloire ou l’ignominie, soit dans l’honneur ou l’infamie, elle ne s’enorgueillisse des éloges qu’on pourrait lui donner, ou ne se décourage à cause des affronts qu’on pourrait lui faire subir. 

Que l’humilité de l’homme religieux ne soit ni sauvage, ni chagrine, mais qu’elle respire la sainteté ; que sa bouche ne murmure point de vaines plaintes, puisque les saintes consolations des joies célestes ne lui manquent jamais. 

Et dans la pratique des bonnes œuvres 

Que personne ne craigne de diminuer ses richesses ou de se rendre pauvre en faisant de nombreuses aumônes ; la pauvreté chrétienne est toujours riche, et ce qu’elle possède est plus précieux que ce qui lui manque. Pourquoi redouter la pauvreté en ce monde, puisqu’on possède tout en Dieu ? Ceux qui aiment à faire de bonnes œuvres ne doivent jamais craindre d’en perdre les moyens, puisqu’une pauvre veuve est louée dans l’évangile pour avoir donné deux oboles, et que Dieu récompense ceux qui donnent un verre d’eau froide en son nom. Le mérite d’une bonne action se mesure par l’intention ; celui dont le cœur est plein de miséricorde trouve toujours occasion de l’exercer. 

La veuve de Sarepta nous en fournit l’exemple : la famine désolait la terre au temps du bienheureux Elie ; elle ne possédait plus de nourriture que pour un seul jour, et elle donna tout au prophète pour apaiser sa faim, elle lui offrit le peu d’huile et de farine qui lui restait, sans songer à elle-même. Mais elle ne fût pas privée de ce qu’elle donna de si bon cœur : ses vases qu’elle avait vidés par pitié devinrent des sources intarissables ; et parce qu’elle n’avait point redouté dans son zèle de manquer de nourriture, elle y retrouva sans cesse ce qu’elle avait donné.