L’Eucharistie annoncée dans les psaumes (1)
« Jésus ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout » (Jn 13, 1). Il les aima jusqu’au bout c’est-à-dire jusqu’à la mort, mais aussi d’un amour qui dépasse toute conception. Il aima ses Apôtres jusqu’à se donner à eux en nourriture le soir du Jeudi saint et jusqu’à leur donner le pouvoir de reproduire de façon non sanglante son sacrifice rédempteur afin de nourrir à leur tour les âmes des fidèles de la sainte Eucharistie.
Pour goûter la sublimité de ces mystères, il est nécessaire de porter dans un premier temps un regard d’amour sur Jésus-Christ prêtre et victime. Cela permet de saisir la nature du sacerdoce que le divin Maître a institué.
Par ailleurs, l’homme moderne ayant perdu la notion de sacrifice, l’étude des sacrifices de l’ancienne Alliance est un préambule indispensable pour saisir la portée du saint sacrifice de la messe. Les sacrifices des animaux, établis par Dieu lui-même, ont en effet figuré, malgré leurs imperfections, le sacrifice du Christ, unique sacrifice rédempteur, qui est rendu présent sur nos autels. Tout en nous faisant découvrir l’étendue du sacrifice de Notre-Seigneur, les sacrifices de l’ancienne Loi nous montrent également quelles dispositions intérieures cultiver aujourd’hui pour assister avec fruit à la messe.
Après ces préliminaires, il nous sera plus facile d’examiner l’Eucharistie sous l’angle du sacrifice puis sous l’angle du sacrement.
Au cours de notre investigation, nous nous appuierons sur des versets de psaumes commentés par les Pères de l’Église et par les plus grands théologiens.
Jésus-Christ prêtre et victime
Jésus-Christ prêtre
Le psaume 109 dresse un portrait sublime de Jésus-Christ. Le roi-prophète le considère à la fois comme Dieu et comme homme. Après avoir admiré sa divinité, il en vient à contempler son humanité. Il déclare : « Le Seigneur l’a juré, et il ne s’en repentira point ; vous êtes prêtre, [Ô Jésus], à jamais selon l’ordre de Melchisédech » (Ps 109, 4). David voit en Jésus-Christ le prêtre par excellence. Il est le Prêtre, c’est-à-dire le pont, le Pontife, l’intermédiaire entre Dieu et nous. Il vient réconcilier les hommes avec son Père. En tant qu’homme, il peut représenter les hommes, en tant que Dieu, il ne peut qu’être agréé par son Père. Il est prêtre selon l’ordre de Melchisédech. Sans être hébreu, Melchisédech était roi de Salem et prêtre du vrai Dieu (Gn 14, 18). On n’en sait pas plus sur lui. Pourquoi David fait-il référence à cet homme mystérieux ? Saint Jean Chrysostome le révèle : « À cause de l’offrande mystérieuse et figurative qu’il fit à Abraham du pain et du vin, et aussi parce que son sacerdoce ne dépend en rien de la Loi, et qu’on ne parle ni du commencement ni de la fin de sa vie. Ce que Melchisédech a été en figure, Jésus-Christ l’a été en réalité » (Œuvres complètes, Vivès, 1868, V, p.175).
Jésus-Christ victime
Le prêtre est ordonné pour le sacrifice. Mais quelle victime Jésus-Christ va-t-il trouver pour réparer le péché originel et nos péchés personnels ? « Nul ne peut se racheter lui-même ni rendre le prix de son âme » (Ps 48, 8) nous dit le Psalmiste. Comme le reconnaît Bossuet, « en vain, le genre humain, effrayé par le sentiment de son crime, cherche des victimes et des holocaustes pour les subroger en sa place ; dussent-ils désoler tous leurs troupeaux et par leurs hécatombes les immoler à Dieu devant ses autels, il est impossible que la vie des bêtes paye pour la vie des hommes : la compensation n’est pas suffisante » (Œuvres oratoires, Desclée, 1890, III, pp. 728-729).
Ne trouvant pas de victime assez digne, Jésus-Christ, dans un acte de magnanimité inouï, s’offre lui-même généreusement en expiation de nos péchés. Bossuet poursuit ainsi sa méditation : « Là se vit ce spectacle de charité, spectacle de miséricorde, auquel nous ne devrions jamais penser sans verser des larmes. Un Fils uniquement agréable, qui se met en la place des ennemis ! L’innocent, le juste, la sainteté même, qui se charge des crimes des malfaiteurs ! Celui qui était infiniment riche, qui se constitue caution pour les insolvables ! Mais, ô Père, consentirez-vous à cet échange ? Pourrez-vous voir mourir votre Fils, pour donner la vie à des étrangers ? Un excès de miséricorde lui fera accepter cette offre ; son Fils devient sa victime en place de tous les mortels » (Ibid. p. 729).
Rempli d’admiration pour le divin Maître, saint Paul s’écriait déjà : « Le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous comme une oblation et une victime d’agréable odeur » (Ep 5, 2).
Mgr Lefebvre transmettait à ses séminaristes le fruit de sa méditation sur le mystère de notre salut en leur disant : « Si nous ne sommes pas émus en voyant de quelle manière le bon Dieu a voulu résoudre le problème de notre rédemption, […] en versant tout son sang pour nous, c’est parce que nous ne connaissons pas Dieu. Nous ne nous rendons pas compte de ce qu’est Dieu. Si nous nous en rendions compte, nous serions abasourdis. Le bon Dieu a fait tout cela par amour pour nous. Est-ce pour nous un sujet d’action de grâces continuelle vis-à-vis de lui ? » (Conférence spirituelle, Écône, 25 janvier 1982).
Dès sa conception, Notre-Seigneur inaugure son sacrifice. Dès cet instant, il apparaît comme victime. Le Psalmiste l’annonçait en ces termes : « Vous n’avez voulu ni sacrifice, ni oblation, mais vous m’avez façonné un corps. Vous n’avez pas demandé d’holocauste ni de sacrifice pour le péché ; alors j’ai dit : Voici que je viens, ô Père, pour accomplir votre volonté » (Ps 39, 8-9).
Dans l’ancienne Loi, on accomplissait des sacrifices qui n’étaient pas entièrement consumés, une partie de la victime étant réservée aux prêtres et parfois une autre partie aux offrants. Cependant, certains sacrifices étaient totalement consumés ; on les appelait du nom d’holocaustes. Le Psalmiste en parle dans le psaume 19 : « Que le Seigneur se souvienne de tous vos sacrifices et que votre holocauste lui soit agréable » (Ps 19, 4). Saint Thomas d’Aquin interprète ainsi ce verset : « Ces choses peuvent s’appliquer au sacrifice du Christ, qui s’offrit tout entier sur l’autel de la croix » (Commentaire sur les psaumes, Cerf, 1996, p. 242). Le sacrifice de Notre-Seigneur a été total et fut donc un véritable holocauste.
Le prêtre : autre Christ
Jésus-Christ est le seul Prêtre. Les prêtres ne font que participer à son sacerdoce. Celui-ci était figuré dans l’ancien Testament par les membres de la tribu de Lévi. Lorsque les Hébreux sont arrivés dans la Terre promise, ils se sont partagés le territoire en onze parties correspondant à onze des douze tribus d’Israël. Aaron et les autres membres de la tribu de Lévi, parce qu'ils étaient revêtus du sacerdoce, n’ont pas reçu de terre en propre, car Dieu était leur héritage (Eccli. 45, 22). C’est ce que le Psalmiste avait en vue lorsqu’il écrivait : « Le Seigneur est la part de mon héritage et de ma coupe ; c’est vous, Seigneur, qui rendrez mon héritage. Le cordeau est tombé pour moi en des lieux magnifiques, car mon héritage est excellent » (Ps 15, 5-6). Comme le territoire réservé à chaque tribu était tiré au sort dans une coupe, l’écrivain sacré parle ici de « sa coupe ». Ces versets s’appliquent aujourd’hui d’une manière particulière aux clercs. Voilà pourquoi ils sont chantés lors de la cérémonie de la tonsure, le mot part se disant en grec « Kléros », d’où le nom de clerc et de clergé. Les clercs ont Dieu pour part d'héritage. Ils doivent par conséquent être totalement détachés des biens de ce monde.
Les clercs ayant Dieu pour héritage doivent être des hommes de Dieu, et une fois élevés au rang de prêtres, ils sont tenus à une plus grande sainteté que les prêtres de l’ancien Testament. Déjà pourtant, à l’époque, Dieu énonçait par la bouche du Psalmiste : « Que vos prêtres soient revêtus de justice, et que vos saints tressaillent de joie » (Ps 131, 9). Au sens littéral, Salomon, auteur de ce psaume, priait pour les prêtres de l’ancienne Alliance et demandait à Dieu, comme le dit saint Robert Bellarmin, de leur octroyer « la justice et la sainteté, deux vertus sans lesquelles ils ne sauraient s’acquitter de leurs fonctions et louer Dieu avec ardeur ; ce qui est le fond de leur mission. En effet, ils doivent, pour eux-mêmes et pour tout le peuple, rendre à Dieu un tribut de louange et d’action de grâces, en reconnaissance des nombreux bienfaits qu’en tous temps nous avons reçus de lui, afin que par ces louanges et ces actions de grâces, Dieu soit engagé à continuer sa miséricorde, et à redoubler ses bienfaits » (Explication des Psaumes, Vivès, 1856, III, p. 431). Et le saint Jésuite tire comme conséquence la nécessité d’une sainteté bien supérieure « de la part de ces autres ministres [du nouveau Testament] qui sacrifient le divin Agneau, et rendent grâces au Très-Haut pour ses bienfaits éternels » (Ibid. p. 432).
Salomon ayant invité les prêtres à rechercher la justice et la sainteté annonce que Dieu revêtira les saints prêtres de Notre-Seigneur : « Je revêtirai, [dit le Seigneur], ses prêtres du Sauveur » (Ps 131, 16). Il s’agit ici d’une parole prophétique. Saint Paul ne dira-t-il pas aux Romains : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ » (Rm 13, 14), c’est-à-dire, faites que dans vos mœurs transparaissent la sainteté et la justice de Jésus-Christ ? C’est ainsi que le prêtre est appelé à devenir un autre Christ.
Qu’est-ce qu’un sacrifice ?
Saint Thomas d’Aquin affirme que « le sacrement de l’Eucharistie en tant qu’il commémore la Passion du Seigneur est appelé sacrifice » (Somme théologique, III, q. 73, a. 4). Mais qu’est-ce au juste qu’un sacrifice ?
Le sacrifice intérieur et le sacrifice extérieur
Le meilleur moyen pour comprendre ce que signifie le terme de sacrifice consiste à se reporter aux prescriptions relatives à ceux de l’ancien Testament. Nous lisons dans le livre du Lévitique : « Le prêtre fera fumer toutes les offrandes sur l’autel, et ce sera un holocauste d’une odeur très agréable au Seigneur » (Lv 1, 13).
Dieu avait établi à l’époque diverses rubriques pour l’exécution des sacrifices, mais celles-ci ne devaient être que l’expression des dispositions intérieures de l’âme des offrants. Comme le dit saint Thomas d’Aquin, « en offrant un sacrifice, l’homme attestait que Dieu est le premier principe créateur de toutes choses et la fin dernière à quoi tout doit être rapporté » (Somme théologique, I-II, q. 102, a. 3).
Le Docteur angélique explique ailleurs la distinction importante entre le sacrifice extérieur (celui d’un animal, du vin jeté en libation…) et le sacrifice intérieur (le sacrifice de l’âme de l’offrant). « Il y a, dit-il, deux sortes de sacrifice : le sacrifice intérieur par lequel l’homme donne son âme à Dieu : “Le sacrifice agréable à Dieu, c’est un esprit brisé” (Ps 50, 19). Et tout sacrifice extérieur est ordonné à la représentation de ce sacrifice intérieur » (Commentaire sur les psaumes, Cerf, 1996, pp. 321-322). Saint Augustin l’avait déjà perçu puisqu’il disait : « Le sacrifice visible est donc le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré du sacrifice invisible » (La cité de Dieu, X, 5). Et c’est justement parce que le sacrifice intérieur manquait en Caïn que Dieu n’a pas agréé son sacrifice à la différence de celui d’Abel (Gn 4, 3-4).
Ajoutons cette précision essentielle du Docteur commun : « Tous les sacrifices de l’ancienne Loi étaient offerts en figure du sacrifice du Christ comme l’imparfait au parfait » (Somme théologique, I-II, q. 102, a. 3). Ainsi, « le Christ est évoqué avec l’agneau à cause de son innocence ; avec le bouc, parce qu’il a revêtu une chair semblable à la chair pécheresse. L’union des deux natures était mise en évidence dans la tourterelle et la colombe… » (Ibid.). « La mise à mort des animaux représentait la mort du Christ » (Ibid.).
Le sacrifice agréable à Dieu
La nécessité de joindre au sacrifice extérieur le sacrifice intérieur de l’âme aide à comprendre les reproches que Dieu a adressés à ceux qui lui offraient des sacrifices sans les dispositions intérieures requises. Dans un psaume, le Seigneur déclare : « Ce n’est pas pour tes sacrifices que je te reprendrai, car tes holocaustes sont toujours devant moi… » (Ps 49, 8). Dieu ne reproche pas aux hommes tièdes leurs sacrifices puisqu’ils les offraient scrupuleusement, mais il déplore leur manque de vertu. Comme le dit saint Jean Chrysostome : « Le vrai culte de Dieu ne consiste ni dans la fumée, ni dans l’odeur de la chair des victimes, mais dans une vie vertueuse, sainte et toute spirituelle » (Œuvres complètes, Vivès, 1868, V, p. 149). Le Psalmiste l’avait bien compris lui qui assurait : « Je louerai le nom du Seigneur par mes cantiques, je le glorifierai par mes louanges. Ce sacrifice sera plus agréable à Dieu que l’immolation d’un jeune taureau aux cornes naissantes et aux ongles déjà forts » (Ps 68, 31-32). C’est bien ce sacrifice de louange que Dieu attend de l’homme vu qu’il déclare au pécheur afin de le ramener à lui : « Immole à Dieu un sacrifice de louange, et rends tes vœux au Très-Haut » (Ps 49, 14).
Le sacrifice de louange
Il reste à préciser ce que signifie l’expression « sacrifice de louange ». Saint Thomas d’Aquin l’explique ainsi : « Ce sacrifice est appelé de louange, parce qu’il n’est rien d’autre que la protestation de la dévotion intérieure et de la foi, car par ce sacrifice, nous reconnaissons Dieu créateur de toutes choses » (Commentaire sur les psaumes, Cerf, 1996, p. 634). Saint Paul dira : « Par Jésus, offrons à Dieu sans cesse une hostie de louange » (He 13, 15). Quant aux vœux à rendre à Dieu, il s’agit pour le Docteur angélique des actes d’adoration que nous devons à Dieu (Ibid. p. 635).
Ajoutons qu’au sacrifice de louange, il est nécessaire de joindre des sacrifices d’action de grâces, de demande et enfin d’expiation en raison de notre état de pécheur.
Terminons par cette belle exhortation de saint Jean-Chrysostome : « Faisons en sorte que notre vie précède notre bouche, et que toute notre conduite fasse entendre sa voix avant notre langue. Alors notre silence lui-même sera une louange agréable à Dieu, et lorsque nos lèvres s’ouvriront, leur mélodie s’harmonisera parfaitement avec notre vie » (Œuvres complètes, Vivès, 1868, V, p. 196).
Le double fruit du sacrifice de louange
Le Psalmiste précise encore dans un oracle divin : « Le sacrifice de louange m’honorera, et là est la voie par laquelle je te montrerai le salut de Dieu » (Ps 49, 23). L’écrivain sacré termine par ce qui est agréé de Dieu dans les sacrifices. Il fait savoir qu’il en résulte un double fruit : « Le premier fruit, dit saint Thomas d’Aquin en commentant ce verset, est du côté de Dieu, afin que son excellence soit manifestée ; l’autre est de notre côté, c’est-à-dire le véritable salut » (Commentaire sur les psaumes, Cerf, 1996, p. 639). Saint Jean Chrysostome conclut : « Quelle récompense admirable ! Quelle bonté infinie ! Dieu promet de découvrir à ceux qui font le bien, la voie qui mène à Dieu. Laissons-nous donc persuader par de si magnifiques promesses et honorons Dieu par la sainteté de notre vie et le sacrifice de louange. Car tel est le sacrifice qui nous ouvre la voie qui conduit au salut » (Œuvres complètes, Vivès, 1868, V, p. 149).
Si pour être agréables à Dieu, les sacrifices de l’ancien Testament requéraient de la part du prêtre et des assistants la nécessité de s’offrir eux-mêmes à Dieu en sacrifice, à combien plus forte raison, cette disposition est-elle requise pour célébrer ou assister avec fruit au saint sacrifice la messe qui reproduit le sacrifice du Calvaire. Voilà pourquoi saint Paul disait aux Romains : « Je vous en conjure donc, frères, par la miséricorde de Dieu, d’offrir vos corps en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu, pour que votre culte soit raisonnable » (Rm 12, 1).
Abbé Patrick Troadec
A suivre
(Source : FSSPX - FSSPX.Actualités - 08/06/2020)
Illustration : Flickr / Patrick (CC BY-SA 2.0 Deed)